Tapioca, le retour !



Il s’invite aussi bien dans les cuisines des grands chefs que dans les échoppes de street food. Avec sa texture surprenante et sa capacité à emprisonner les saveurs et les couleurs, le tapioca s’offre un lifting bien mérité.
« Enfant, ma grand-mère me préparait tous les vendredis un œuf à la coque accompagné d’un bol de tapioca », se souvient Alain Passard. La mère desjumeaux Pourcel en mettait dans les potages de ses petits. Quant à Yves Camdeborde, c’est sa région d’origine tout entière qu’il retrouve à travers le tapioca : « Dans le Sud-Ouest, pas de communion, de mariage ni de baptême sans bouillon aux perles du Japon. »
On l’aura compris, le tapioca est un aliment très riche sur le plan affectif ! Il ne doit pourtant pas son retour de flamme à ses vertus sentimentales, mais plutôt à la récente success story du bubble tea. Ce thé parfumé à siroter à l’aide d’une paille au calibre démesuré (afin de laisser passer les grosses billes de tapioca logées au fond du gobelet) a débarqué de Taïwan il y a à peine deux ans. Les fans de street food ont été les premiers à succomber et Paris compte désormais une dizaine d’échoppes spécialisées. Il faut dire que cette paille géante et ces billes moelleuses parfumées au caramel ont le bon goût de l’enfance. Les deux compères de la boutique Bubble-T de la rue Quincampoix l’ont bien compris avec leur bubble teas aromatisés Nutella, marron ou spéculoos… Un peu plus loin, rue Coquillière, Zen Zoo Prunier la joue plus traditionnel, avec des parfums tels que gingembre, kumquat, sésame ou matcha. 

Astuces de chefs

Sous cette vague bubble, le tapioca creuse aussi sa place dans nos cuisines. Guillaume Chaussepied, directeur marketing chez Tipiak, premier transformateur de tapioca en France, l’a bien noté : « Avec la crise économique, les ventes ont progressé. » Ingrédient naturel (il s’agit uniquement de farine de manioc séché) et peu coûteux (le prix d’un paquet de pâtes), il a donc tout bon. Faut-il encore savoir le cuisiner autrement que pour le petit dernier ou l’ultra-classique dessert de restaurant asiatique : perles du Japon, lait de coco tiède et mangue. 
Pour cela, on commence par distinguer les deux ingrédients issus de la farine de manioc : le tapioca, de fines pépites qui veloutent les soupes en se noyant dans la masse, et les perles du Japon, des billes qui restent entières et apportent une matière aux plats. 
Pour Alain Passard, il faut sortir le tapioca du bouillon : « C’est un produit contemporain, j’aime m’en servir en suivant les saisons. » En hiver, le chef le sert rissolé pour accompagner une endive meunière. Au printemps, asperges et petits pois sont cuits à l’anglaise avant d’être agrémentés de tapioca et assaisonnés d’huile d’olive. Yves Camdeborde aime le côté ludique des perles du Japon qu’il détourne façon riz au lait. Une recette qui date de sa première adresse parisienne, La Régalade : « Je cuis les perles dans un lait vanillé et je les sers avec une marmelade de fruits de saison. Depuis vingt ans que ça dure, tous les fruits y sont passés ! » Plus technique, Laurent Pourcel s’en sert pour lier une vinaigrette avec humour et légèreté : « Je réduis un jus d’orange que je monte ensuite à l’huile d’olive, j’ajoute un trait de jus de citron pour donner du peps et je termine par les perles cuites pour la liaison. » Parfaite sur un carpaccio de loup ou des pointes d’asperges, cette sauce new age interpelle par sa texture inattendue ; sa base peut-être déclinée à l’envi, avec un jus de carotte ou de truffe par exemple. Au chef de conclure : « Avant, les sauces étaient faites avec un roux, donc plus lourdes. Pourquoi ne pas s’ouvrir à de nouvelles textures ? » Un rôle de choix pour le tapioca !


Lucile Escourrou

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