Zéro calorie et 100 % naturel. C'est fort de ces deux arguments que la stevia, un édulcorant végétal, s'apprête à conquérir les marchés du Vieux continent. Le 12 novembre, la Commission européenne a en effet autorisé l'utilisation d'extraits de cette plante dans certaines catégories d'aliments : produits laitiers, boissons, édulcorants de table, céréales pour le petit-déjeuner ou confiseries. La mesure entrera officiellement en vigueur le 2 décembre. "L'ultime obstacle dans le processus de régulation a été levé", s'est réjouie dans un communiqué Maria Teresa Scardigli, directrice exécutive du Conseil international de la stevia, instance chargée de défendre les intérêts des firmes commercialisant des produits à base de cette plante.
AUTORISÉE DANS UNE TRENTAINE DE PAYS
Avec un pouvoir sucrant jusqu'à 300 fois supérieur à celui du sucre, la stevia, plante originaire du Paraguay, est consommée depuis plusieurs siècles par les indiens Guarani. Aujourd'hui cultivée à grande échelle, elle est utilisée dans une trentaine de pays dans le monde. Ses vertus ont déjà conquis depuis plusieurs années le marché nippon – bénéficiant notamment de l'interdiction des édulcorants chimiques par les autorités – mais aussi, plus récemment, celui des Etats-Unis, après la levée en décembre 2008 des restrictions de la Food and Drug Administration, qui la considérait à fortes doses comme une plante abortive.
La France avait été le premier pays de l'Union européenne à autoriser, en septembre 2009, l'utilisation et la commercialisation du Rebaudioside A, l'édulcorant issu de la stevia. Un feu vert qui n'avait pas échappé à plusieurs entreprises agroalimentaires, comme le géant des produits laitiers Danone. Dès 2010, celui-ci avait surfé sur l'image naturelle et faiblement calorique de ce nouvel édulcorant, avec une gamme des ses yaourts allégés Taillefine. Le groupe Coca-Cola a pour sa part lancé en 2010 Fanta Still, "la première boisson à base d'extraits de stevia [commercialisée dans l'Hexagone]".
Coca Cola a par ailleurs annoncé, dans la foulée de la décision de la Commission européenne, le développement de nouvelles boissons à base de l'édulcorant végétal. Il faut dire qu'en octobre, la commission des finances de l'Assemblée nationale avait élargi la nouvelle taxe sur les sodas aux boissons "light", avec édulcorants de synthèse, alors que seules les boissons sucrées étaient ciblées initialement. Cette taxe a été retoquée, le 22 novembre, par le Sénat, mais devrait finalement bien être adoptée par l'Assemblée nationale dans les prochaines semaines.
D'autres grandes firmes, comme l'Américain Merisant, investissent depuis plusieurs années dans la stevia. "Nous avons constaté une forte demande des consommateurs pour des produits naturels (...). En même temps, il y a un vrai intérêt pour une réduction de la consommation de sucre", a expliqué à l'AFPHugues Pitre, directeur général pour l'Europe du groupe qui propose plusieurs édulcorants de table à base de cet édulcorant végétal, avec notamment Canderel Green et Pure Via.
UN SUBSTITUT À L'ASPARTAME ?
Car un des enjeux essentiels de la stevia est de proposer une alternative à l'aspartame. Cet édulcorant chimique controversé est actuellement le plus utilisé au monde. On le retrouve dans quelque 6 000 produits, du chewing-gum aux boissons allégées, dont plus de 500 produits pharmaceutiques. Selon le Réseau environnement santé, près de 200 millions de personnes en consommeraient"régulièrement" dans le monde.
En janvier, le RES avait attiré l'attention sur deux études : l'une concernant l'ensemble des édulcorants chimiques (dont l'aspartame), qui favoriseraient des naissances avant terme chez les femmes ; l'autre conduite sur des souris mâles, chez qui cet édulcorant artificiel provoquerait certains cancers. Face à ses résultats, la Commission européenne avait invité, en mai, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à anticiper la réévaluation complète de la sécurité de l'aspartame. Celle-ci, initialement programmé pour être achevée d'ici 2020, devraitêtre finalisée en 2012. Début septembre, le ministre de la santé, Xavier Bertrand, indiquait avoir demandé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), une "réponse précise" sur les éventuelles difficultés que poserait l'édulcorant chimique.
SON DÉFAUT : UN ARRIÈRE-GOÛT DE RÉGLISSE
Joint par Le Monde.fr, Xavier Terlet, fondateur de XTC, un cabinet de conseil sur l'innovation alimentaire, estime que la stevia n'est pas le produit miracle dont tout le monde parle : "en dépit de son côté 'magique' – sans calorie et naturel – la stevia a un défaut majeur : son goût". En effet, l'édulcorant laisserait sur le palais un arrière-goût de réglisse. Ainsi explique-t-il, les industriels de l'agro-alimentaire vont sans doute privilégier la création de nouveaux produits, plutôt que remplacer l'aspartame : "prenez un produit comme le Coca Light, développé en 1989, vous ne pouvez pas en changer le goût comme ça. La stevia pourra facilement trouver une place pour des produits qui n'ont pas de référent-goût, mais elle ne pourra pas s'imposer face à des aliments clairement identifiables par les consommateurs".
Le fondateur de XTC reconnaît toutefois que depuis l'autorisation des autorités françaises, son cabinet est sollicité par de nombreux clients pour développer des produits à base de stevia. "La dimension de naturalité est très en vogue auprès des consommateurs, justifie-t-il. Et la stevia offre une solution intéressante à cette demande."
Concernant la décision de la commission européenne, M. Terlet est catégorique : elle n'aura "aucun" impact direct sur le secteur agroalimentaire. La stevia trouvera"doucement" sa place sur le marché des édulcorants, "sans à-coup". "La seule variable qui pourrait accélérer l'utilisation de la stevia, c'est l'interdiction de son principal concurrent : l'aspartame", estime-t-il. Et en plein débat sur l'inocuité de l'édulcorant chimique, l'analyste reconnaît que cette hypothèse est loin d'être"impossible".
Aude Lasjaunias
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